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LA CULTURE SELON MACRON

GRANDE PROSTITUÉE D'ÉTAT ?

Hier, Emmanuel Macron dévoilait son « plan pour la Culture » : une allocution très attendue par les intermittents et tous ceux qui vivent d’activités culturelles et qui, depuis le début du confinement, subissent les reports et/ou annulations de leurs spectacles, tournages et festivals. Le suspense était à son comble, le public aux aguets mais le jeu en valait la chandelle : avec « Manu », nous en avons toujours pour notre argent ! Installez-vous confortablement, mesdames et messieurs, la représentation va bientôt commencer.

ACTE I : DONNANT DONNANT

Le président annonce d’emblée qu’il va « attendre beaucoup » du secteur culturel. La prolongation des droits des intermittents, « jusqu’en août 2021 », est loin d’être une faveur, chaque artiste étant pour cela obligé de « donner de son temps » en échange. Une fois de plus, Macron teste l’obéissance de sa population, ici celle de ses intermittents : qui acceptera de renoncer à ses droits pour ne pas courber l’échine ?

L’objectif est clair : mettre la production artistique au service de l’État. Grâce à un « grand programme de commandes publiques », Macron veut permettre au monde du spectacle de « se réinventer ». Déjà contraint depuis quarante ans par la politique clientéliste de la subvention et des appels à projets, le « monde du spectacle » se verra désormais imposer clairement ses thèmes et peut-être même ses textes. Un grand coup de baguette magique sur ce qu’il nous restait encore de liberté d’expression et de subversion, achevant la transformation des artistes en missionnaires et de la création en propagande. Bientôt, le choix devra se faire entre « créer ce que l’État demande » ou « ne pas créer du tout ». Les artistes indépendants, eux, devront se retrousser doublement les manches : financièrement – pour s’auto-produire – et intellectuellement – pour seulement réussir à penser hors du cadre.

Le projet ne date pas d’hier mais en Macronie, tout va toujours plus vite, plus loin, plus fort (c’est la start-up nation !).

ACTE II : LA LOI DU MARCHÉ

Réduire la création artistique à des « commandes publiques », c’est aussi calquer le « modèle économique » culturel sur la logique de l’offre et de la demande (mis en place depuis Sarkozy). Pour faire baisser le budget de la Culture, ce qui arrivera tôt ou tard, il suffira de réduire le nombre de commandes. Simple logique mathématique, compréhensible même par quelqu’un qui « n’aimerait pas les chiffres » – ce dont s’est vanté Emmanuel Macron et qui est tout de même fort dommageable pour un banquier.

Il faut, a-t-il également dit, « rendre plus forte notre capacité à créer » et lui donner « une force de frappe économique à l’échelle de l’Europe ». Il annonce, en d’autres termes, l’assujettissement de la production artistique aux lois de la finance internationale. Avec des contenus et des « créateurs » qui seront entièrement sous contrôle (cf. ACTE I), plus rien ni personne ne s’y opposera.

Le point de vue est nécessairement celui d’un homme qui n’y connaît rien à la création artistique. Sinon, il saurait que créer est de l’ordre du sensible et ne peut être soumis ni à une valeur marchande, ni à une « optimisation des performances ».

ACTE III : L’ÉTÉ APPRENANT ET CULTUREL

Vous avez aimé « Nation Apprenante » ? Vous allez adorer notre « Été Apprenant et Culturel » ! À défaut de pouvoir vous rendre à votre festival préféré, vous pourrez toujours arpenter les écoles des quartiers populaires à la recherche de saltimbanques venus réinventer leur rapport au public, en révolutionnant « l’accès à la culture et à l’art ».

Si Macron avait été un tant soit peu attentif à l’histoire de la démocratisation culturelle de l’après-guerre, il saurait que la difficulté ne réside pas dans la diffusion des connaissances (aujourd’hui accessibles par pléthore de moyens), mais dans la capacité à les appréhender de manière critique à l’ère de la consommation de masse.

Peut-être est-ce pour cette raison qu’il accordera une place importante aux « jeunes créateurs de moins de 30 ans » ? Un employé est toujours plus malléable en début de carrière, surtout s’il a baigné depuis l’enfance dans le fleuve des productions médiatiques et télévisuelles.

Après la grande valse des enseignants, voici celle des intermittents venus participer à la « réorganisation de l’école », c’est-à-dire à sa destruction en tant que service (au) public. Sans doute y avait-il encore trop de « gaulois réfractaires » parmi l’Éducation Nationale ! Car de quelle « culture » parlera-t-on dans les écoles ? Au mieux, de la culture classique des élites ; au pire, de la bouillie informe pseudo-révolutionnaire servie par une grande majorité de l’industrie culturelle.

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y sera question :

ni de la culture des « riens », appelée autrefois culture populaire, puis pop’culture (pour faire disparaître le peuple et donc ne plus pouvoir se penser comme classe sociale), puis avalée par le Léviathan de la consommation de masse ;

ni d’éducation populaire, qui vivotait encore par endroits grâce aux activités périscolaires, certainement amenées à disparaître du fait des interventions « artistiques » plébiscitées par l’État ;

ni de quoi que ce soit d’autre qui favoriserait le développement d’une pensée critique ou politique chez les jeunes générations.

Cerise sur le gâteau : Emmanuel Macron ne précise pas si ces « commandes » et ces « projets » seront financés par le budget du Ministère de la Culture ou par celui du Ministère de l’Éducation. Il ne manquerait plus que l’on ne déshabille Pierre pour costumer Paul, justifiant par la même occasion les suppressions de postes à l’Éducation Nationale !

Il est le beau le monde d’après, non ? Il a comme un goût de « monde d’avant », mais en pire. Les actes IV et V restent encore à écrire, mais il est peu probable que beaucoup d’intermittents ne se mettent en danger, de risque de perdre leurs propres acquis sociaux. Être ou ne pas être (intermittent) : telle sera la question.

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